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vendredi 4 octobre 2013

Les systèmes fondés sur les rapports de domination ont atteint leurs limites

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Dans les principaux mécanismes de régulation actuels, un dominant (votre supérieur hiérarchique) va juger votre action et déterminer si elle est bonne ou mauvaise. Il n’y a pas pire système, car il engendre une amplification de la domination, avec tout ce que cela sous-entend de flagornerie, de dissimulation, d’intrigues… Plus vous allez ajouter de contrôles venant du haut de la pyramide, plus vous risquez d’amplifier les problèmes. On s’obstine, avec notre esprit cartésien, à vouloir trouver des indicateurs objectifs à la qualité de l’Homme. Or rien de pire que les indicateurs objectifs, rien de plus facile à manipuler, à truquer. Comme le disait Albert Einstein, « Ce qui compte ne peut pas toujours être compté, et ce qui peut être compté ne compte pas forcément.  ».

.... Cette proximité entre « complexe » et « compliqué » a créé une sorte de malentendu, que les grands diffuseurs de la pensée complexe n’ont par réussi à dissiper en dépit de leurs efforts ininterrompus depuis plus de 40 ans pour sensibiliser les décideurs et leurs concitoyens à la nécessité de la pensée globale. A travers mon livre, j’ai tenté d’expliquer ce concept avec des mots simples et des exemples parlant, en puisant principalement dans l’univers que je connais le mieux : la médecine et la santé.Par ailleurs, l’approche interdisciplinaire est « anticonformiste ». Elle entre en conflit avec notre vision cartésienne du monde. Comme l’ont très bien expliqué avant moi les penseurs de la systémique, nous avons été éduqués depuis notre plus jeune âge à appréhender, penser les choses de manière compartimentée. Que ce soit à l’école ou dans la vie sociale et professionnelle, nous n’apprenons pas à étudier le monde et les objets dans leur complexité, dans leur globalité, c’est-à-dire à la fois dans leur environnement, dans leur fonctionnement, dans leurs mécanismes de régulation ou leurs interactions.
Il existe bien quelques tentatives pour tenter d’échapper au conformisme ambiant, et ces dernières années par exemple, le concept d’agilité a fait son apparition au sein des entreprises avec un certain succès. Pour le dire très simplement, c’est la complexité à la sauce des informaticiens. L’expérience leur a montré que la conception d’un programme informatique ne pouvait se faire à partir d’un cahier des charges rédigé une fois pour toutes par le client. Ce dernier doit l’adapter au fur et à mesure de l’évolution du projet. C’est aux développeurs de s’adapter à cette réalité en accompagnant l’évolution de la demande induite par l’avancement du projet.
Il faut aussi se rendre à l’évidence : tant que l’ancien système fonctionne encore, rares seront ceux qui accepteront de l’abandonner pour un nouveau. Il faut donc que l’ancien monde s’écroule pour pouvoir changer de paradigme et bâtir un nouveau monde sur les ruines du précédent. Je crains que la France ne soit pas prête à accepter les changements de société qui impliquent la complexité ou la cybernétique. Comme dans La théorie des catastrophes de Thomas Kuhn, je crois que le changement de paradigme ne pourra se faire que dans la crise.

....DD : L’hôpital magnétique (magnet hospitals) est cet hôpital « aimanteur » expérimenté en Amérique du Nord, qui attire le personnel soignant qui ne veut plus le quitter. Ce modèle est la preuve vivante que les valeurs d’avenir ne résident ni dans les procédures, ni dans les actions de planification, mais bien dans des structures plus humaines, qui réconcilient productivité et épanouissement personnel et gérées comme un système complexe. On y encourage l’utilisation d’outils transversaux, la coopération, l’écoute, l’empathie, la solidarité, l’autonomie, l’entraide, la valorisation réelle des compétences et la créativité. Les gens se parlent et s’écoutent à tous les niveaux, et la direction est attentive aux suggestions de ses employés et les encourage à innover pour améliorer les méthodes de travail. Les structures magnétiques sont un état d’esprit. On parle d’« hétérarchie  ». Un système qui privilégie la multiplicité des liens et des interdépendances entre les salariés, qui choisit la transversalité plutôt que les hiérarchies pyramidales. Naturellement, ces hôpitaux où il fait bon travailler sont aussi ceux où il fait bon être soigné…

DD : Il serait évidemment réducteur et caricatural de limiter les relations humaines à des rapports de domination-soumission ! Au-delà de cette distinction, j’ai essayé d’expliquer pourquoi nos organisations et les relations sociales étaient insatisfaisantes, et à qui cet état de fait profitait. Cette lutte sans pitié pour la domination, servie par des organisations hyper hiérarchisées, profite à la minorité qui tente d’accaparer le plus de richesses et de pouvoirs. La structure hiérarchique de domination a permis à Homo Sapiens de dominer le monde et, si c’était à refaire, je le dis avec force : il serait impossible de faire autrement. C’est grâce à cet instinct de domination et à la capacité d’Homo Sapiens à s’adapter à toutes les situations en sachant créer des outils efficaces que l’Homme de l’ère moderne (qui n’a de moderne que le nom, tant notre système fondé sur des rapports dominants-dominés est archaïque) a fini par devenir le maître du monde.
Aujourd’hui, les systèmes fondés sur les rapports de force ou de domination ont atteint leurs limites. L’Homme moderne se heurte à un mur et quand un système est bloqué, il faut imaginer autre chose pour pouvoir continuer à avancer. Et d’est l’association entre dominés (dont beaucoup sont des dominant prédateurs potentiels).
et dominants sociaux (ceux qui oeuvrent pour le bien commun tout en parvenant à acquérir une position satisfaisante dans l’échelle sociale) qui le permettra. Les dominants prédateurs (ceux qui cherchent à accaparer à leur profit le plus de pouvoirs et de richesses par tous les moyens) n’y ont évidemment aucun intérêt… Il faut donc, parmi les dominants, identifier les dominants sociaux qui réussiront à leur imposer ou à les convaincre de changer.
Selon une étude[4] américano-canadienne récente, plus la classe sociale élevée, plus on observe de comportements non éthiques. Dans les milieux où la cupidité est une valeur forte, il existe un sentiment de puissance et d’impunité qui favorise ces comportements. La position sociale agirait, selon cette étude, comme le principal déterminant. Est-ce que le fait d’être riche rend moins éthique ou devient-on riche parce qu’on est moins moral et prêt à tout pour s’enrichir ? Est-ce le désir de puissance qui rend cupide et facilite l’ascension sociale ?

Il apparaît que c’est l’instinct de domination, qui est la cause principale de ces mauvais comportements. A ce propos, la découverte des travaux du Pr Laborit a été un vrai choc pour moi ! Ce grand scientifique, qui a inspiré le film d’Alain Resnais, Mon oncle d’Amérique, ne parle pas de « génétique de la domination », mais il explique que le cerveau est une machine à dominer et que la morale a été inventée pour contrôler la domination exercée par les dominants prédateurs. Mais ceux qui sont en situation de puissance et de domination ont tendance à chercher à contourner les lois et la morale. Le mythe selon lequel une personne qui occupe une fonction sociale élevée serait plus éthique ou plus fiable que les autres a vécu, comme tend à le démontrer les résultats de l’étude américano-canadienne. Dans les faits, ce serait même plutôt le contraire !



http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/dr-dominique-dupagne-les-systemes-117874 

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