Depuis quelques années, les diplomés de niveau bac+ 5 sont de plus en plus nombreux à ne plus
pouvoir obtenir un
emploi correspondant à leur niveau de diplôme, comme le montre une
enquête du
Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Céreq), sur l'insertion des jeunes en France, à paraître le 4 juillet. Ces résultats soulignent également que plus le niveau de formation est élevé, plus le risque de chômage est faible.
Près de cinquante internautes du Monde.fr, titulaires d'un bac +5, ont répondu à l'appel à témoignages lancé mardi 18 juin sur notre site. Nous en publions une sélection.
- "Quand on est caissière avec un bac +5, on apprend l'humilité !", par Marion
"Je suis titulaire d'un master pro environnement écologie, obtenu dans une école d'ingénieurs réputée. Tout le long de mes cinq années d'études, on nous a encouragé à
faire des stages : pour se 'professionnaliser', on nous a sans cesse répété que l'environnement, c'était le métier de demain. Malheureusement ce n'est toujours pas celui d'aujourd'hui, on ne fait que
parler d'environnement, mais en vérité, cela représente une contrainte pour tout le monde, ça coûte de l'argent et les postes sont donc rares. Pour des raisons personnelles, je suis allée
vivre dans une agglomération de taille moyenne, et devant l'absence totale d'offres d'emploi dans mon domaine et les vaines candidatures spontanées, j'ai dû me résoudre à
chercher un "petit" boulot... Petit boulot qui est peu à peu devenu MON boulot. Il faut bien
vivre ! (...) Quand on est caissière avec un bac +5, on apprend l'humilité ! J'essaye de
voir le positif, au moins je n'ai pas de responsabilités stressantes et ma vie personnelle s'en ressent forcément. Cependant, à 29 ans, je ne perds pas espoir qu'un jour ma vie professionnelle soit en accord avec mes aspirations !"
- "Un sentiment de dépérissement m'envahit", par Oblomov, 25 ans, juriste
"Bac +7 , deux masters de droit dont un anglo-saxon dans des facultés de tête de tableau, de l'expérience internationale dans des directions juridiques de multinationales en France et à l'étranger, trois langues étrangères parlées couramment. Voici deux ans que je ne fais que des stages et que je n'imagine rien d'autre. Pour éviter le chômage, je dois
tricher, comme tant d'autres je m'inscris à l'Institut d'études judiciaires (...) afin de
pouvoir bénéficier d'une convention de stage qui me permettra de
faire un boulot sous-payé où je stagnerai encore six mois de plus avant le prochain stage. Mes parents ne comprennent pas pourquoi personne ne m'a embauché et s'imaginent que je trouverai un CDI si je postule en ce sens. Pourtant la réalité est différente : on postule pour un stage, en espérant un CDD, en espérant un CDI, avant de
changer de boulot. Pas de vacances. Pas de perspective d'évolution. Pas de motivation. Un sentiment de dépérissement m'envahit comme si autour de moi le monde bougeait et que moi je devenais vieux, vieux, vieux et inutile. A 25 ans je m'identifie déjà au personnage du
Couperet de Costa-Gavras."
- "En attendant le Graal, je vends des sushis", par Rémi
"Je suis vendeur dans un pseudo restaurant de sushis à Bruxelles pour 9 euros de l'heure. Diplômé en mai de l'école de management de Strasbourg et titulaire d'une licence en langues étrangères appliquées (LEA),
trouver un CDI en France s'est tout de suite avéré un défi kafkaïen. Cela ne suffit apparemment pas à
postuler à des postes de junior en marketing. (...). Malgré une bonne cinquantaine de lettres de motivations et de CV envoyés, le pourcentage de retour de la part des
entreprises frôle le néant (...). Après un mois passé à Pôle emploi (le sanctuaire de la bureaucratie inutile si
vous avez dépassé la licence), j'ai décidé d'arrêter de
vivre aux crochets de mes parents pour
partir vers des horizons 'meilleurs' où je sais que mon CV ne sera pas considéré avec dédain. Bref, en attendant le Graal, je vends des sushis..."
- "J'ai effectué trois stages, appris quatre langues, déménagé cinq fois",par Sarah, 24 ans, Vannes, assistante d'éducation
"J'ai obtenu mon diplôme de
Sciences Po Toulouse en août 2012 (...). En cinq années d'études, j'ai effectué trois stages, appris quatre langues, déménagé cinq fois. J'ai choisi une spécialisation qui me passionne mais me rapportera peu : l'égalité des chances. Lors de mon premier rendez-vous Pôle emploi en septembre 2012, ma conseillère m'a déclarée
"inexpérimentée" et m'a proposé des postes d'assistante administrative. J'ai été refusée en service civique parce que
"trop qualifiée". En novembre, j'ai trouvé un emploi d'assistante d'éducation à mi-temps qui me rapporte 587 euros par mois et me permet de
travailler un concours pour l'éducation nationale, que je cherche à
rejoindre par conviction. Collée à l'oral en mai dernier, je repars pour une nouvelle année de bachotage, tout en cherchant cette fois-ci un "vrai" emploi, sans le concours de Pôle emploi (...). Je sais que mon prochain emploi ne correspondra pas non plus à ma qualification, ni même nécessairement à mes goûts : aujourd'hui, je cherche surtout à intégrer une structure par la petite porte pour ensuite y
faire mes preuves. Si on me laisse
essayer."
- "On a besoin d'argent, alors on accepte n'importe quel travail", par Kyle, 23 ans, Tours, ex-étudiant et galérien
"Détenteur d'un master d'anglais depuis septembre, c'est tout heureux que j'ai quitté les études et me suis lancé sur le fameux 'marché du travail'. Las... Du travail, il y en a. Sauf qu'on demande systématiquement des années d'expérience au même poste. Ce qui n'est évidemment pas possible. Quant à la formation universitaire, elle ne sert à rien aux entreprises qui ne nous recherchent pas et elles nous le font très bien
savoir. Du coup, on se retrouve à
courir les différentes boîtes d'intérim, pour
faire de la manutention. Et de l'usine, surtout. Quand une place est disponible... Ce qui a au moins le mérite de nous
faire découvrir ce qu'est la 'vraie vie' de la plupart des gens, des pauvres, des ouvriers, qui ne sont que des statistiques pour les 'cadres' ou plus que nous étions censés
devenir. Mais on a besoin d'argent, alors on accepte n'importe quel travail. Peu importe si nos qualifications supposées n'ont rien à
voir. On se persuade qu'un jour on finira par
trouver. Et on alterne une vie entre course à l'intérim éreintante, humiliations de Pôle emploi qui ne cherche même pas à nous 'caser' et entreprises qui nous repoussent sans se
cacher du fait que
'l'université ne sert à rien'.
"
- "Les stages ne sont pas comptabilisés dans la catégorie expérience professionnelle", par Mouna, 25 ans, Enghien-les-Bains
"Titulaire d'un master en marketing et d'un master en commerce
international, je me retrouve vendeuse en intérim. Les postes en marketing sont très demandés et les
jeunes diplômés sont rarement le premier choix d'une entreprise avec comme réponse perpétuelle : pas d'expérience. Malgré des stages, des contrats en alternance effectués durant toute ma scolarité, cela n'a pas suffit. En effet, pour les employeurs les stages ne sont pas comptabilisés dans la catégorie expérience professionnelle... Du coup, afin de ne pas
rester les bras croisés, j'enchaîne les petits boulots d'intérim en vente, en espérant
trouver le métier que je souhaite."
- "Au fur et à mesure que les mois passent, je regrette mon choix d'orientation", par Najib, 24 ans
"Diplômé d'un master de droit public j'ai, comme beaucoup d'anciens étudiants, accepté d'
occuper un poste qui ne répond pas réellement à mon cursus universitaire. Après de longs mois de recherche d'emploi au sein de la fonction publique, je me suis résigné à m'
engager auprès d'une structure qui m'offrait un poste assez sous-évalué, en-deçà des perspectives d'
avenir auxquelles nous ont longtemps fait
croire nos professeurs successifs. Chargé des marchés publics au sein d'une structure publique, j'occupais en réalité une fonction bien moins étendue et valorisante que ne laisse présager son
titre. Payé 1 300 euros net, et ne voyant aucune porte s'
entrouvrir, je regrette, à mesure que les mois passent, mon choix d'orientation porté vers l'administration. Malgré tout je garde espoir, espérant que ce pas en arrière sera l'élan nécessaire pour mieux
franchir les obstacles futurs."
- "Un très beau CV, mais 'pas assez d'expérience'", par Dorothée, 26ans
"Je suis double diplômée (master 2 + MBA) d'une école de commerce et d'une université dans le domaine du tourisme. Endettée sur dix ans pour
pouvoir payerces belles études. Résultat : un très beau CV, mais
"pas assez d'expérience". Me voilà à
travailler à l'étranger, dans un call center, pour l'équivalent de 850 euros par mois. Ça valait le coup !"
- "A quoi bon faire des études aujourd'hui ?", par Jorge, 25 ans
"Installé en France il y a cinq ans, j'ai obtenu l'an dernier un bac +5 dans un domaine qui se présentait prometteur avant la crise. Maintenant, un an plus tard, après des tas de petits boulots, j'ai accepté (ou mieux, dû
accepter) un poste dans le BTP, qui n'a aucun rapport avec mon parcours et qui, bien évidemment, est nettement moins payé qu'un poste de cadre. Je repense à mes diplômes et aux cinq langues que je parle couramment et je me demande à quoi bon
faire des études aujourd'hui. Il faudrait surtout éliminer l'hypocrisie qui règne dans le système scolaire, faisant
croire aux lycéens qu'il faut absolument
avoir un bac S, et enchaîner avec cinq ans d'études universitaires."
- "Mon travail d'étudiant provisoire est devenu mon emploi véritable",par Théo, 28 ans, Orléans, employé dans la restauration rapide
"Je suis titulaire d'un master en philosophie et je suis employé dans la restauration rapide depuis cinq ans. J'ai été vacataire dans l'éducation nationale pour des petits remplacements et j'ai dû
renoncer à cette voie à cause de l'absence de postes. J'ai donc trouvé la stabilité de l'emploi uniquement dans le travail étudiant provisoire que j'avais, qui est devenu mon emploi véritable. J'ai pu
sortir de la précarité étudiante, mais en sacrifiant mes aspirations professionnelles premières."
- "Il faut aussi savoir se 'brader' en début de carrière", par Franck
"Titulaire d'un master de droit public, j'ai réussi à
obtenir un concours de la fonction publique, mais catégorie B (contrôleur des douanes, minimum niveau bac) (...). Le niveau de diplôme ne veut pas forcément
dire grand chose à un instant T. Il faut parfois aussi
savoir se 'brader' en début de carrière, pour
pouvoir, ensuite, prétendre bénéficier d'un salaire en adéquation avec notre niveau d'étude. A
vouloir être exigeant trop tôt en termes de rémunération et ce, malgré un bon cursus universitaire type bac +5, on passe certainement à côté de belles opportunités. Ma rémunération va
osciller les première années entre 1 800 et 2 100 euros net par mois, alors que je pourrais légitimement prétendre à 2 500 euros par mois minimum. A l'heure où être actif est déjà une victoire, à l'heure où
obtenir un emploi dans la fonction publique est devenu un exploit, je préfère largement
gagner un peu moins (pendant quelques années) que ce que je pourrais espérer, plutôt que de
pointer à Pôle emploi."
- "Enchaîner les emplois sous-payés m'a permis de rebondir", par Julien, 26 ans, Londres
"Diplômé en septembre 2011 d'un master en développement international des PME/PMI, je viens de décrocher un VIE au
Royaume-Uni. Mais avant ce 'happy ending', quel parcours du combattant ! Pendant un an et demi, j'ai alterné les périodes de chômage, au RSA car sans activité salariée auparavant, et les travaux sous-qualifiés et en particulier de call center. Pendant six mois, j'ai vendu des assurances par téléphone, payé au smic, 33 heures par semaine. Cependant, j'avais la chance d'
avoir mes parents pour m'héberger et enfin j'ai pris cela du bon côté, en me disant que cet emploi me permettait au moins de me
perfectionner en techniques de vente et dans une moindre mesure, en négociation. Depuis, une PME française m'a embauché en VIE pour un an. Le fait de ne pas
avoir de trou sur mon CV et cette expérience de télévente ont été des facteurs clés de mon embauche. En conclusion, enchaîner les emplois sous-payés et sous-qualifiés m'a aussi permis de
rebondir sur le marché du travail."