INTERVIEW - Comment la France divise sa jeunesse diplômée ou non... C’est le question à laquelle se propose de répondre la deuxième édition de La Machine à trier ouvrage d’Andre Zylberberg, directeur de recherche au CNRS, coécrit avec Pierre Cahuc, Stephane Carcillo et Olivier Galland.
Le Figaro - 1,9 millions de jeunes ont décroché. Ils ne suivent pas d’étude. Ils ne se forment pas. Ils n’ont pas d’emploi. Pourquoi la France n’arrive-t-elle pas à donner un avenir aux jeunes sans diplôme?
Andre Zylberberg - Ces jeunes qu’on appelle les décrocheurs sont sans diplôme et sans qualification. Ils multiplient au mieux des emplois très précaires entre deux périodes de chômage. Ils n’arrivent pas à s’insérer dans le monde du travail contrairement aux jeunes titulaires d’un diplôme même modeste. En regard de leur productivité, le coût du travail est trop élevé en France pour le type d’emploi qu’ils sont susceptibles d’occuper. L’hexagone est le deuxième pays en Europe pour le coût du travail non qualifié. Un seul pays le devance, le Luxembourg. La crise n’est pas responsable de leur situation. La France a créé une machine à trier entre les jeunes diplômés et les autres.
Le gouvernement a mis en place les contrats d’avenir qui vise les jeunes peu ou pas qualifiés. Est-ce efficace?
C’est a priori une bonne idée. Mais cette mesure ne peut pas marcher car il faudrait d’abord former ces jeunes qui sont très éloignés de l’emploi. Il faut leur apprendre des compétences de base, parfois lire, écrire, savoir répondre au téléphone, avoir une attitude pro-sociale vis à vis des personnes qui les entourent. L’échec est tel que certaines collectivités locales ont dû se séparer de jeunes en contrat d’avenir. Il est question d’ouvrir ces contrats d’avenir à des jeunes diplômés. Cela ne sert à rien. Toutes les études montrent que financer des emplois aidés dans le secteur public sans former les gens coûte très cher et ne les aide pas à retourner vers des emplois «réguliers». Cela permet seulement au gouvernement en place de faire baisser, à court terme, les statistiques du chômage.
Et les contrats de génération?
C’est encore pire. Je n’ai pas compris la logique économique de ces contrats .L’entreprise bénéficie d’une aide de 4000 euros par an à condition qu’elle embauche un jeune et s’engage à conserver l’emploi d’un senior. Comme cette mesure ne cible pas les jeunes qui ont le plus besoin d’être intégrés dans le monde du travail, elle va se traduire par de formidables effets d’aubaine dans l’immense majorité des cas.
Faut-il mettre en place un salaire minimum pour les jeunes?
Cette solution a fait ses preuves à l’étranger. Plusieurs pays ont choisi de mettre en place des smic dont le niveau est faible ou ont pris des mesures particulières en faveur des jeunes. La France refuse ce choix pour des raisons culturelles. Elle défend un smic national qui est le même pour tous quelle que soit l’âge, la région et la qualification. C’est contre-productif et explique pourquoi la France a un tel niveau de chômage de jeunes non qualifiés.
La seule mesure efficace à court terme est-elle de baisser le coût du travail?
Jouer sur le coût du travail est la seule mesure efficace rapidement. Dans un premier temps, on pourrait continuer à abaisser les charges au niveau du salaire minimum. Mais cela ne suffira pas. Il faut également proposer des mesures à plus long terme en misant sur la formation des jeunes peu qualifiés. Car il faut du temps pour remettre à niveau des gens qui ont perdu tout repère dans le monde du travail. Il faut concentrer les moyens sur les personnes qui en ont le plus besoin et arrêter de proposer à tout le monde des stages ou des emplois aidés dans le secteur non marchand qui ne sont d’aucune utilité à moyen terme. Les Danois, les Hollandais, les Allemands ont mis en place des systèmes de formation efficace qui s’adressent aux personnes les moins qualifiées et qui, couplés avec un faible coût du travail, ont permis de faire baisser le chômage.
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