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Dans les principaux mécanismes de régulation actuels, un dominant
(votre supérieur hiérarchique) va juger votre action et déterminer si
elle est bonne ou mauvaise. Il n’y a pas pire système, car il engendre
une amplification de la domination, avec tout ce que cela sous-entend de
flagornerie, de dissimulation, d’intrigues… Plus vous allez ajouter de
contrôles venant du haut de la pyramide, plus vous risquez d’amplifier
les problèmes. On s’obstine, avec notre esprit cartésien, à vouloir
trouver des indicateurs objectifs à la qualité de l’Homme. Or rien de
pire que les indicateurs objectifs, rien de plus facile à manipuler, à
truquer. Comme le disait Albert Einstein, «
Ce qui compte ne peut pas toujours être compté, et ce qui peut être compté ne compte pas forcément. ».
.... Cette proximité entre « complexe » et « compliqué » a créé
une sorte de malentendu, que les grands diffuseurs de la pensée
complexe n’ont par réussi à dissiper en dépit de leurs efforts
ininterrompus depuis plus de 40 ans pour sensibiliser les décideurs et
leurs concitoyens à la nécessité de la pensée globale. A travers mon
livre, j’ai tenté d’expliquer ce concept avec des mots simples et des
exemples parlant, en puisant principalement dans l’univers que je
connais le mieux : la médecine et la santé.Par ailleurs, l’approche interdisciplinaire est « anticonformiste ».
Elle entre en conflit avec notre vision cartésienne du monde. Comme
l’ont très bien expliqué avant moi les penseurs de la systémique, nous
avons été éduqués depuis notre plus jeune âge à appréhender, penser les
choses de manière compartimentée. Que ce soit à l’école ou dans la vie
sociale et professionnelle, nous n’apprenons pas à étudier le monde et
les objets dans leur complexité, dans leur globalité, c’est-à-dire à la
fois dans leur environnement, dans leur fonctionnement, dans leurs
mécanismes de régulation ou leurs interactions.
Il existe bien quelques tentatives pour tenter d’échapper au
conformisme ambiant, et ces dernières années par exemple, le concept
d’agilité
a fait son apparition au sein des entreprises avec un certain succès.
Pour le dire très simplement, c’est la complexité à la sauce des
informaticiens. L’expérience leur a montré que la conception d’un
programme informatique ne pouvait se faire à partir d’un cahier des
charges rédigé une fois pour toutes par le client. Ce dernier doit
l’adapter au fur et à mesure de l’évolution du projet. C’est aux
développeurs de s’adapter à cette réalité en accompagnant l’évolution de
la demande induite par l’avancement du projet.
Il faut aussi se rendre à l’évidence : tant que l’ancien système
fonctionne encore, rares seront ceux qui accepteront de l’abandonner
pour un nouveau. Il faut donc que l’ancien monde s’écroule pour pouvoir
changer de paradigme et bâtir un nouveau monde sur les ruines du
précédent. Je crains que la France ne soit pas prête à accepter les
changements de société qui impliquent la complexité ou la cybernétique.
Comme dans
La théorie des catastrophes de Thomas Kuhn, je crois que le changement de paradigme ne pourra se faire que dans la crise.
....DD :
L’hôpital magnétique (
magnet hospitals)
est cet hôpital « aimanteur » expérimenté en Amérique du Nord, qui
attire le personnel soignant qui ne veut plus le quitter. Ce modèle est
la preuve vivante que les valeurs d’avenir ne résident ni dans les
procédures, ni dans les actions de planification, mais bien dans des
structures plus humaines, qui réconcilient productivité et
épanouissement personnel et gérées comme un système complexe. On y
encourage l’utilisation d’outils transversaux, la coopération, l’écoute,
l’empathie, la solidarité, l’autonomie, l’entraide, la valorisation
réelle des compétences et la créativité. Les gens se parlent et
s’écoutent à tous les niveaux, et la direction est attentive aux
suggestions de ses employés et les encourage à innover pour améliorer
les méthodes de travail. Les structures magnétiques sont un état
d’esprit. On parle d’«
hétérarchie ».
Un système qui privilégie la multiplicité des liens et des
interdépendances entre les salariés, qui choisit la transversalité
plutôt que les hiérarchies pyramidales. Naturellement, ces hôpitaux où
il fait bon travailler sont aussi ceux où il fait bon être soigné…
DD : Il serait évidemment réducteur et caricatural de limiter les
relations humaines à des rapports de domination-soumission ! Au-delà de
cette distinction, j’ai essayé d’expliquer pourquoi nos organisations et
les relations sociales étaient insatisfaisantes, et à qui cet état de
fait profitait. Cette lutte sans pitié pour la domination, servie par
des organisations hyper hiérarchisées, profite à la minorité qui tente
d’accaparer le plus de richesses et de pouvoirs. La structure
hiérarchique de domination a permis à Homo Sapiens de dominer le monde
et, si c’était à refaire, je le dis avec force : il serait impossible de
faire autrement. C’est grâce à cet instinct de domination et à la
capacité d’Homo Sapiens à s’adapter à toutes les situations en sachant
créer des outils efficaces que l’Homme de l’ère moderne (qui n’a de
moderne que le nom, tant notre système fondé sur des rapports
dominants-dominés est archaïque) a fini par devenir le maître du monde.
Aujourd’hui, les systèmes fondés sur les rapports de force ou de
domination ont atteint leurs limites. L’Homme moderne se heurte à un mur
et quand un système est bloqué, il faut imaginer autre chose pour
pouvoir continuer à avancer. Et d’est l’association entre dominés (dont
beaucoup sont des dominant prédateurs potentiels).
et dominants sociaux (ceux qui oeuvrent pour le bien commun tout en
parvenant à acquérir une position satisfaisante dans l’échelle sociale)
qui le permettra. Les dominants prédateurs (ceux qui cherchent à
accaparer à leur profit le plus de pouvoirs et de richesses par tous les
moyens) n’y ont évidemment aucun intérêt… Il faut donc, parmi les
dominants, identifier les dominants sociaux qui réussiront à leur
imposer ou à les convaincre de changer.
Selon une étude
[4]
américano-canadienne récente, plus la classe sociale élevée, plus on
observe de comportements non éthiques. Dans les milieux où la cupidité
est une valeur forte, il existe un sentiment de puissance et d’impunité
qui favorise ces comportements. La position sociale agirait, selon cette
étude, comme le principal déterminant. Est-ce que le fait d’être riche
rend moins éthique ou devient-on riche parce qu’on est moins moral et
prêt à tout pour s’enrichir ? Est-ce le désir de puissance qui rend
cupide et facilite l’ascension sociale ?
Il apparaît que c’est l’instinct de domination, qui est la
cause principale de ces mauvais comportements. A ce propos, la découverte des
travaux du P
r Laborit a été un vrai choc pour moi ! Ce grand
scientifique, qui a inspiré le film d’Alain Resnais,
Mon oncle d’Amérique, ne parle pas
de « génétique de la domination », mais il explique que le cerveau
est une machine à dominer et que la morale a été inventée pour contrôler la
domination exercée par les dominants prédateurs. Mais ceux qui sont en
situation de puissance et de domination ont tendance à chercher à contourner
les lois et la morale. Le mythe selon lequel une personne qui occupe une
fonction sociale élevée serait plus éthique ou plus fiable que les autres a
vécu, comme tend à le démontrer les résultats de l’étude américano-canadienne.
Dans les faits, ce serait même plutôt le contraire !
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/dr-dominique-dupagne-les-systemes-117874